LA NOCHE TRISTE

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La noche triste

 « Je suis né sous une telle étoile que nul au monde n'a jamais fait et ne pourra jamais faire ce que j'ai fait ! »

                                                                                Gilles de rais

I

      Il est de ces hommes qui sont nés pour en dominer d'autres. Des hommes qui graveront leurs noms en lettres d'or dans les livres  d'histoires à côté des Hannibal, Alexandre le Grand et autre Attila. Ces êtres à qui l'on parvient à pardonner  les crimes les plus atroces tant leur dimension leur enlève toute culpabilité. J'ai été au service d'un de ces hommes. Et encore aujourd'hui, trente ans après les sombres événements, ce n'est pas sans une certaine fierté que je raconte, assis à une table dans une gargote qui donne sur le port de notre bonne ville de Barcelone, à des voyageurs de passage ou à des marins en route pour le nouveau monde, que j'ai connu le plus grand et le plus diabolique des hommes ; que j'ai servi sous les ordres de l'illustre conquistador Hernán Cortés !

      Nous sommes en 1520. Onze ans avant que Francisco Pizarro ne mette au pas le royaume inca, un groupe d'hommes menés par un chef qui pouvait, s'il était né de l'autre côté de la méditerranée, se réclamer des Barca tant son charisme et son audace donnaient à un royaume chrétien ce dont seuls les anciens empires païens tels les Huns ou les Mongols en possédaient, ces hommes donc, derrières le général Cortés, se préparaient à marcher sur le grand empire aztèque.

      Nous étions à peine six cents. Mais possédés par l'excitation qu'exerce le précieux métal jaune, et surtout revitalisés par un chef qui savait trouver les mots justes et surtout les actes justes pour nous pousser (il avait été jusqu'à ordonner de mettre le feu à nos vaisseaux afin que nous ne puissions plus revenir en arrière. Mais au lieu de faire face à un soulèvement, cela avait au contraire augmenté son pouvoir sur les troupes), nous pénétrions les épaisses forêts avec une ardeur incroyable. Chacun savait désormais de quoi il était capable. Sachant reconnaître les mérites, il savait surtout punir les incompétences et les désobéissances. Aucunes plaintes n'étaient autorisées, aucunes protestations tolérées. Les exécutions des soldats qu'ils disaient 'lâches' étaient légions. Grâce à une telle discipline, nous pûmes venir à bout de nos adversaires, mais surtout, de tous les dangers dont foisonnait cet environnement hostile dans lequel nous nous enfoncions chaque jour. Les maladies eurent raisons de nombre de nos hommes, mais notre général paraissait imperméable à tout cela. Pendant tout notre périple, il ne mit jamais genou à terre, ne flancha jamais. C'est sans doute grâce à toutes ces aptitudes que le peuple auquel nous aurions bientôt à faire face le prit pour un Dieu.

      Une vielle légende aztèque raconte qu'un Dieu, le 'Quetzalcoatl' viendrait de l'océan et apporterait avec lui la paix à son peuple. Accoutrés comme nous le fûmes, chargés de nos lourdes armures et de nos épées de Tolède capable de transpercer un homme comme un rien, nous passâmes sans doute pour les émissaires de ce Dieu, et notre chef pour le corps qu'il avait choisi d'habiter. Ainsi, notre plus grande bataille, nous l'avions gagné sans qu'une goutte de sang ne soit versée. Mais, comme toujours, le plus difficile allait être de préserver l'emprise que les circonstances nous avaient permise de gagner sur un si grand peuple. Car si cela n'avait pas été les circonstances, les armes n'auraient sans doute pas suffit !

      La première fois que nous vîmes l'endroit où ils habitaient, l'on découvrit une ville tellement grande que les dieux seuls pouvaient y avoir élus domicile. A côté de 'Tenochtitlan', le nom que se peuple donnait à leur cité, nos plus grandes villes semblaient faire office de vulgaires chaumières. L'environnement dans lequel vivaient ces gens apparaissait comme une réplique du paradis de notre 'genèse'. Ils vivaient à moitié nus, n'ayant pas honte de dévoiler les attraits dont mère nature les avaient pourvus. Si un peuple pouvait prétendre descendre d'Adam et Eve, c'était bien celui-là. Ces hommes et ces femmes semblaient vraiment vivre en parfaite union avec la nature. La pudeur ne faisait pas partie de leur culture. Ils avaient apparemment résistés à la tentation de goûter au fruit de la science. Ils allaient payer bien chèrement cette abstinence ! Ces habitants étaient vraiment les seuls à pouvoir demeurer ainsi. C'était un peuple 'beau'. Leurs femmes étaient plus ravissantes que toutes les figures féminines de nos statues de déesses grecques ou romaines. N'importe laquelle d'entre elles pouvait remplacer la 'Hélène' de Paris, et mille Troyes auraient été prises pour la récupérer. Chaque homme était taillé, dans le plus beau bois, et dont même le Hercule de notre mythologie serait jaloux. Sur chacun l'on pouvait lire les effets des travaux qu'ils rendaient à la terre, que ce soit leurs nombreuses cicatrices ou leur étonnante musculature. A côté d'eux, nous tous semblions de jeunes pucelles tant nos corps étaient efféminés comparés aux leurs ...nous tous sauf notre chef. Lui seul semblait digne d'appartenir à un tel peuple. Lui seul, avec sa peau couleur de camelle, brûlé par les rayons du soleil qui semblait vouloir se venger du seul homme qui était capable de lui faire de l'ombre, qui seul éblouissait plus que lui les hommes. Cet homme était possédé du désir d'égaler les illustres conquérants du passé. Il avait affublé son épée du  nom de 'Chingiis' en l'honneur du grand roi mongol ; et son cheval portait le nom de la bataille qui consacrait la victoire d'Octave, 'Actium'. Les Indiens l'accueillirent d'ailleurs comme un des leurs. Ils le regretteraient bientôt.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 10, 2011 ⏰

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